LE MISSISSIPPI TEST FACILITY
Avant le 25 octobre 1961, peu de personnes aux États Unis savaient que les forêts de pins et de cyprès des marais le long de la Pearl River, dans le comté de Hancock (Mississippi), seraient transformés en un centre d'essai pour fusées et deviendrait une composante essentielle du programme Apollo d'exploration lunaire. Les habitants vivants le long de cette rivière apprirent la nouvelle avec incrédulité lorsque l'annonce parue à la radio, puis de nouveau plus tard, en lisant les gros titres des journaux du matin proclamant : "L'Oncle Sam testera ses fusées lunaires dans l'État".
Les premières mises à feu statiques des étages S-I, S-Ib ainsi que ceux des S-IC et S-II, furent réalisées à l'arsenal de Huntsville (Alabama), qui deviendra par la suite le Marshall Space Flight Center (MSFC) dirigé par le docteur von Braun.
En raisons des énormes dimensions de son futur lanceur, la NASA annonça le 25 octobre 1961 qu'elle avait sélectionné un site dans le comté de Hancock (au sud-ouest du Mississippi, à proximité du MAF) pour y étabir le Centre national de test des propulseurs Saturn sous la direction du MSFC. Cet emplacement, situé à environ 88 km au nord-est de la Nouvelle Orléans, dans la baie de Picayune, fut choisi en raison de sa faible densité de population, mais surtout en raison de son accès pratique par voies maritimes (fleuve et océan), essentiel pour transporter les énormes étages du nouveau lanceur, ses composants et les propergols.
Avant que la construction ne débute, cinq petites communautés - Gainesville, Logtown, Napoléon, Santa Rosa et Westonia, comprenant 700 familles - furent déplacées. Les vestiges de ces villages, y compris des rues et une école (une bâtisse d'une seule pièce), subsistent toujours dans l'enceinte du centre. Ce fut à l'époque le plus grand projet de construction du Mississippi, et le deuxième sur le territoire des États-Unis.
La zone d'essais proprement dite couvre une superficie de 55 km² (soit 5 463 hectares ou 13 500 acres) et est officiellement connue sous le nom de "Free Area". Elle est entourée par une zone tampon acoustique d'environ 506 km² (50 585 hectares ou 125 000 acres).
Bon à savoir : La zone de tampon acoustique est accessible aux bûcherons et aux agriculteurs, à condition qu'aucun d'entre eux n'y établisse sa résidence, en raison des ondes sonores produites par les réacteurs lors des essais.
RAPIDE CHRONOLOGIE
1961
25 octobre : la NASA annonce le choix du site pour établir le centre d'essais national dans le conté de Hancock, Mississippi. Ce dernier se situe à environ 56 km (35 miles) du MAF.
18 décembre : le site est officiellement nommé le Mississippi Test Operations (MTO).
1962
18 avril : le US Army Corps of Engineers ouvre le bureau immobilier du projet pour entamer les négociations concernant l'acquisition des terrains.
1963
Vers mi-mai, les opérations de terrassement débutent sur le site du MTO, en vue du dragage d'un port pour chaland et de son canal d'accès. Une voie ferrée d'environ 16,90 km (10,5 miles) a été achevée sur le site.
Le 17 mai, les ouvriers coupent le premier arbre pour commencer à dégager la zone d'essai en prévision des futures constructions.
Le 17 juin, le "Corps of Engineers" attribue les contrats pour l'excavation (les fondations) de l'écluse d'accès au canal artificiel, du pont basculant, du centre de secours, du dragage de l'East Pearl River ainsi que le terrassement du complexe de Saturn V au MTO.
Un des premiers projets majeurs pendant la construction du MTF fut l'écluse de navigation et le pont basculant. L'écluse, située à l'entrée sud du centre, est une version plus petite de l'écluse qui équipe le canal de Panama et est utilisée afin de lever les étages de fusée et les barges à propergol jusqu'à 6 m (20 ft) au-dessus du niveau de l'embouchure de la Pearl River (qui est également celui de la mer).
Le 6 août le " Corps of Engineers" attribue un contrat de construction pour le laboratoire du MTO ainsi que le bâtiment d'ingénierie.
1964
En janvier, la NASA annonce que les budgets de construction pour les équipements des Saturn IB et des Saturn V à l'usine de Michoud et le MTO voisin, seraient respectivement de 6 534 000 $ et 61 991 000 $ pour l'année fiscale 65.
Début de la construction du banc d'essai A-2.
À noter que les fondations (sur la première photo) utilisent le même principe (enfoncement de pieux en acier) que celles du VAB.
1965
8 février, le district mobile de l'U.S. Army Corps of Engineers attribue un contrat de $ 4,3 millions couvrant les annexes de l'étage S-II, la construction d'un bâtiment de contrôle vertical (Vertical Checkout Building, VCB) et du dock "cryogénique" (chargé de recevoir les propergols supercritiques) du MTO.
1er juillet 1965, après une suggestion de l'administrateur de la NASA, James E. Webb, le MTO est officiellement renommé en Mississippi Test Facility (MTF). À l'été 1965, le site comptait 6 400 ouvriers travaillant pour 30 principaux entrepreneurs et 250 sous-traitants, tous impliqués dans la construction des bancs d'essai.
1966
Le 23 avril, le S-II-T/D devient le premier propulseur (deuxième étage) du lanceur Saturn V a être testé au MTF. Cet essai marque le début opérationnel du MTF.
La mission principale du centre est de tester les étages motorisés, S-IC et S-II du lanceur Saturn V pour le programme Apollo, mission qui a perduré jusqu'au début des années 1970. Le MTF a joué un rôle clé dans la fiabilisation des moteurs du programme Apollo, d'où l'adage :
"Si tu veux aller sur la Lune, tu dois déjà passer par Hancock County".
Le 10 mai, un problème lié à une bouteille d'hélium a entraîné l'arrêt de la deuxième mise à feu du S-II-T au MTF. Le jour suivant, lors d'une nouvelle tentative de mise à feu statique du S-II-T, le moteur a été allumé pendant environ 47 secondes. La coupure prématurée a eu lieu cette fois à cause d'un problème avec le générateur de gaz.
Le 17 mai, un test du S-II-T a duré154 secondes.
Enfin le 20 mai, le premier essai de longue durée a eu lieu, avec une mise à feu de 354 secondes pour le S-II-T, il s'agissait du 4e test effectué sur cet étage.
QUE TROUVE T-ON AU MTF ?
Le MTF est composé de 3 principaux complexes incluant environ 60 bâtiments et structures. De plus, il est parcouru par 12 km de canaux navigables (menant au pied de chaque banc d'essai) avec des écluses et un pont basculant ; 45 km de voie ferrée ; ainsi que 56 km de routes et d'autoroutes pavées. Sous la surface on trouve aussi 996 km de câbles interconnectant les bancs d'essais, les laboratoires et les bases de données. Chaque mois, le MTF consomme l'équivalent en électricité de 6 000 foyers (données de 1966).
Zone de test A, les bancs d'essai A-1 et A-2
La zone de test A effectue tout les essais au sol de l'étage S-II du lanceur Saturn V. Elle comprend deux bancs d'essai individuels, désignés A-1 et A-2, un TCC, des bunkers d'observation, ainsi que des systèmes techniques (tels que les systèmes de haute pression pour les gaz, l'eau, et l'alimentation électrique), et tout l'équipement au sol nécessaire pour contrôler et effectuer les mises à feu des moteurs des étages impliqués. Chaque banc est capable de réaliser un tir statique pour un étage de jusqu'à 10 m (33 ft) de diamètre et 25 m (82 ft) de longueur. Les deux bancs d’essai, sont situés le long du réseau de canaux, à environ 700 mètres (2300 ft) l’un de l’autre. Chacune de ces structures, pesant 42 000 tonnes, mesure environ 61 m (200 ft) de hauteur et repose sur une fondation à deux niveaux d'environ 36,6 × 42 mètres (120 par 138 ft). La fondation est supportée par 588 pieux en H, verticaux et inclinés, d’une longueur comprise entre 21 à 28 mètres (70 et 92 ft). Un remblai de sable compacté a été mis en place le long des parois de la fondation. Les bancs d’essai S-II sont similaires à celui du S-IC en ce qu’ils comportent chacun une fondation en béton armé surmontée d’une superstructure en acier. Chaque installation comprend des platesformes de charge et de travail, des systèmes utilitaires et de mesure de données, un ascenseur, des grues à flêche de manutention pour la mise en place de l'étage, ainsi que des dispositifs de maintien au sol. Les déflecteurs de jet mesurent environ 16 m (53 ft) de haut et sont équipés de systèmes de refroidissement par eau pulvérisant environ 644 000 litres/minute (170 000 gallons/minute).
Les deux bancs sont reliés au centre de contrôle des essais et à l’installation de collecte des données par des galeries techniques où circulent les câbles. Chaque banc dispose d’un bunker d’observation et de deux tours équipées de caméras de télévision.
Quinze étages de vol ont été soumis à un essai statique d'acceptation jusqu'en octobre 1970. Au total, vingt-sept essais statiques d’étages S-II ont été effectués, pour une durée cumulée d’environ 7 106 secondes.
Zone de test B, double banc d'essai B (B-1 et B-2)
La zone de test B réalise tout les essais au sol pour l'étage S-1C du lanceur Saturn V. Il s'agit d'un double banc d'essais, divisé en deux sections identiques, B-1 et B-2. C'est la plus haute construction (en tenant compte de la hauteur de la grue) de l'État du Mississippi avec 124 m, et sa base couvre une superficie au sol équivalente à un terrain de football. La structure est située à proximité du canal long de 12 kilomètres (7,5 miles) utilisé par les barges transportant les étages de la Saturn V et le carburant vers le MTF. Pesant environ 147 000 tonnes (162 000 tons) et s'élevant à environ 40 étages au-dessus du sol, la structure repose sur une fondation en béton armé de forme rectangulaire, mesurant 117 par 45 mètres (386 x 146 ft), qui s’enfonce à environ 15 mètres (50 ft) sous la surface. La fondation est soutenue par 1640 pieux verticaux et inclinés en acier, de 21 à 27 mètres (69 à 89 ft) de long. Un remblai de sable a été installé autour des murs de la fondation, à l'exception de la zone du quai.
La structure métallique comprend des plateformes de charge et de travail, des systèmes utilitaires et de mesure de données, des ascenseurs, des dispositifs de retenue et des grues à flêche de manutention pour la manipulation des étages. Chaque banc d’essai dispose d’un déflecteur de flammes en acier de 27 mètres (90 ft) de hauteur, percé de plus de 30 000 orifices permettant de pulvériser 1,2 million de litres d'eau de refroidissement par minute (320 000 gallons par minute) pendant les les mises à feu. La structure est connectée au centre de contrôle des essais et à l’installation de collecte des données par des galeries techniques abritant les câbles. Des bunkers d'observation et des tours équipées de caméras de télévision sont situés de part et d’autre du banc d’essai.
Le premier étage S-IC était solidement maintenu par quatre bras de retenue géants, fixés à une dalle de béton épaisse de 12 m. Les lourdes mâchoires de ces bras s’agrippaient à la base de l’étage au moyen de mécanismes d’entraînement conçus pour se déplacer à une vitesse de seulement 8 centimètres par minute.
De mars 1967 à septembre 1970, quinze tirs statiques d'un étage S-IC ont été effectués pour une durée cumulée d'environ 1 875 secondes.
Le banc d’essai du S-IC a été construit sous la supervision du MDO. Les travaux de terrassement ont débuté en décembre 1963, suivis des opérations de battage de pieux en mars 1964. La structure a été achevée en mars 1967 et mise en service en juin de la même année.
Excavation
La construction du banc d’essai a nécessité une excavation d’environ 210 m (690 ft) de long, 116 m (380 ft) de large et 12 m (39 ft) de profondeur, avec des talus inclinés selon une pente moyenne de 1 pour 3. Le terrain naturel à proximité immédiate du banc se situe à une altitude d’environ 7,3 m (24 ft), tandis que le fond de l’excavation se trouvait à l’altitude -5,5 m (-18 ft). L’excavation, effectuée à l’aide d’une dragline et d’engins de transport, a commencé en décembre 1963 et s’est achevée en mars 1964. Un lit de sable grossier de 0,9 m (3 ft) d’épaisseur a été mis en place au fond de l’excavation pour constituer une surface de travail.
Drainage de l’excavation
Comme la majeure partie de l’excavation se trouvait sous le niveau normal de la nappe phréatique, situé vers +3,7 m (12 ft), un système de drainage a été mis en place. Ce système comprenait un réseau de wellpoints pour contrôler les infiltrations sur les talus de l’excavation, ainsi qu’un système de puits profonds pour abaisser le niveau de la nappe. Le réseau de wellpoints était constitué d’une centaine de puits d’une longueur de 4,3 m (14 ft) disposés autour de l’excavation, avec des collecteurs situés à une altitude de -0,9 m (-3 ft). Le système de puits profonds comprenait six puits en bois disposés autour du sommet de l’excavation. Ces puits étaient équipés de pompes turbines immergées afin de maintenir le niveau piézométrique à environ 2,4 m (8 ft) en dessous du fond de l’excavation. Les eaux de ruissellement et d’infiltration étaient drainées vers une cuve de décantation (sump) puis pompées hors de l’excavation. Une quantité importante d’eau et de boue s’accumulait dans l’excavation en raison des eaux de surface.
Opérations de battage des pieux
Les opérations de battage des pieux ont commencé après l’achèvement de l’excavation et se sont terminées en mai 1964. Un marteau Vulcan 08 et un marteau Vulcan OR ont été utilisés pour enfoncer les pieux. Pour chaque pieu, des relevés de battage ont été conservés, incluant le nombre de coups, la durée du battage, les interruptions et d’autres détails pertinents. Les pieux verticaux et inclinés (battered piles) ont été enfoncés jusqu’à une cote de pointe de -29,6 m (-97 ft), à l’exception des pieux situés dans le coin nord-est, qui ont été enfoncés jusqu’à -25,3 m (-83 ft). Après le battage, des barres d’armature en acier ont été soudées aux extrémités supérieures des pieux afin de les intégrer à la fondation. Au total, 1640 pieux d’une longueur comprise entre 21 et 27 m (69 à 89 ft) ont été enfoncés. Le nombre de coups pour le dernier pied variait de 12 à plus de 200. Lors des opérations, il arrivait qu’un pieu en cours de battage heurte des pieux déjà en place, ce qui explique certains nombres élevés de coups. Sous le centre du banc d’essai, la moyenne était d’environ 37 coups pour le dernier pied. Cette moyenne descendait à 33 coups sur le côté est et à 26 coups sur le côté ouest.
Coulage du béton
Le coulage du béton pour la dalle de base a débuté en juin 1964 dans le coin sud-est. La dalle de base, d’une épaisseur de 1,52 m (5 ft), a été achevée en septembre 1964. La structure de la fondation comprend deux niveaux de locaux cellulaires dont les murs ont une épaisseur variant de 0,9 à 1,22 m (3 à 4 ft). Comme la priorité a été donnée à l’achèvement du côté est du banc d’essai, le coulage du béton a commencé à cet endroit pour chaque étape. Le coulage final du béton a eu lieu en mars 1966. Le volume total de béton mis en place s’élève à 47 540 m³ (62 200 yd³).
Mise en place de la structure métallique
La mise en place de la superstructure métallique a commencé après mars 1966 et s’est achevée en mars 1967. Cela comprend les plateformes de service et de maintien ainsi que les déflecteurs de flammes en acier. Environ 25 000 tonnes de métal ont été utilisées dans la structure, hors armatures en béton.
Bon à savoir : le MTF est le premier centre de la NASA à être pleinement utilisé par des sociétés industrielles, le personnel de la NASA assurant uniquement l'administration. General Electric est responsable des équipements et des installations du centre, et met son personnel spécialisé à disposition des contracteurs. NAA est responsable de l'étage S-II et Boeing de l'étage S-I. L'U.S. Army Corps of Engineers (le Génie) est chargé d'élaborer les plans et de construire les installations.
Anedote : En août 1968, au Mississippi Test Facility, les ingénieurs ont démontré avec succès l’efficacité des deux correctifs : le premier étage S-IC était doté du système de suppression des oscillations Pogo appliqué aux moteurs F-1, et le deuxième étage S-II intégrait des conduites de carburant des allumeurs redessinées sur les moteurs J-2. Cette démonstration a permis d’autoriser le lancement habité d’AS-503, la mission Apollo 8.
Textes traduits de l'anglais (source : MTF public affairs office, Saturn Illustrated Chronology ) texte de Paul Cultrera, tous droits réservés.