L'ÉTAGE S-IC


SPÉCIFICATIONS

Désignation : Saturn IC (S-IC).
Moteurs : 5 moteurs F-1 de Rocketdyne, dont quatre moteurs extérieurs orientables, montés sur verins hydrauliques.
Hauteur : 42,07 m.
Diamètre : 10,06 m.
Masse à vide : 130 570 kg.
Oxidant (comburant) : oxygène liquide.
Carburant : kérosène RP-1.
Masse des ergols : 2 149 500 kg.
Autres : 2450 kg.
Poussée : 33 360 kN au niveau de la mer (SL ou Sea Level); augmentée à 34 030 kN SL puis à 35 140 kN.
Temps de combustion : environ 162 s pour les moteurs extérieurs, coupure du moteur central à 135,5 s (vitesse ~9 900 km/h, altitude 67 km).
Séparation : largage 0,6 s aprés coupure du moteur par 8 petits moteurs à poudre de 394 kN (mise à feu pendant 2/3 s).

Pressurisation :
Réservoir de RP-1 préssurisé à l'hélium gazeux (288 kg, 3510 litres) à une pression de 211 atmosphères.
Réservoir d'oxygène liquide pressurisé à l'oxygène gazeux, converti à partir de 2280 kg d'oxygène liquide destiné aux moteurs.
Système de contrôle par 36 litres d'azote gazeux à 211 atm.

Système hydraulique : utilisé principalement pour le démarrage des moteurs et pour l'orientation des quatre moteurs extérieurs pendant le vol.
Système électrique : 2 batteries 28 V, fournissant la puissance de base pour toutes les fonctions électriques.
Instrumentation : ~900 mesures sont prises grâce à des boîtiers dédiés.
Poursuite : transpondeur ODOP.
Contrôle environnemental : Un système de contôle environnemental au sol protège l'équipement du S-IC contre les températures extrèmes dans les secteurs avant et dans la structure de poussée, tout en fournissant une purge d'azote pendant le pré-lancement et les opérations de mise à feu.




Représentation du S-IC, (C)2001 T.Muto


Le premier étage du lanceur Saturn V (S-IC) est fabriqué et assemblé au MAF (Michoud Assembly Facility), en Louisianne.


Description du S-IC

L'étage S-IC se compose de cinq éléments cylindriques principaux assemblés verticalement, ainsi que d'un groupe de cinq moteurs F-1. Au-dessus de ces moteurs se trouvent divers composants essentiels : le compartiment de propulsion, le réservoir de carburant, la structure inter-réservoir, le réservoir d'oxygène liquide et la jupe avant. Ces éléments sont imposants en raison de leurs dimensions exceptionnelles.


Schéma des proportions des éléments du S-IC

À la base de l'étage S-IC, se trouvent les cinq moteurs F-1. Suivant cette partie, le compartiment de propulsion, qui assure la fixation des moteurs, de leurs accessoires et des divers équipements, est le composant le plus complexe et le plus lourd des cinq éléments principaux de la structure du S-IC. Ce compartiment prend la forme d'une structure semi-monocoque cylindrique non pressurisée, mesurant environ 10,05 m (33 ft) de diamètre et 5,94 m (19,5 ft) de long. Il est conçu pour supporter quatre moteurs F-1 extérieurs orientables, disposés sur un cercle de 9,24 m (364 in) de diamètre, et un moteur F-1 fixe, situé sur l'axe central du lanceur. La structure est principalement fabriquée à partir des alliages d'aluminium 7075 et 7079.
Le compartiment comporte à sa base un bouclier thermique, destiné à protéger la structure et les composants installés contre la chaleur des moteurs F-1. Ce bouclier est constitué de panneaux en "sandwich" (nid d'abeille) en acier, recouverts sur le côté exposé à la chaleur d'une couche d'isolation ablative. L'isolation entre les côtés chaud et froid du bouclier garantit que, même lorsque la température du côté chaud atteint 1093,3°C (2000°F), celle du côté froid reste inférieure à 148,8°C (300°F). Le bouclier est conçu de manière à limiter le mouvement dû aux variations de pression à une distance maximale de 5,08 cm (2 in). Le soutien de ce bouclier thermique est assuré par un faisceau complexe, fixé au support du moteur central et à l'armature arrière.
Des ouvertures sont présentes dans la base du bouclier thermique pour l'alimentation en LOX et RP-1, et des panneaux amovibles dans le bouclier permettent d'accéder à la section arrière. En complément du bouclier thermique principal, chaque capot de carénage des moteurs F-1 est équipé de boucliers thermiques similaires, localisés dans le même plan. Ces boucliers peuvent être retirés pour accéder à la mécanique des moteurs, notamment les déclencheurs des moteurs F-1.



Vue du compartiment de propulsion



Le réservoir de carburant, capable de contenir 791 148,6 litres (209 000 gallons US) de kérosène RP-1, mesure environ 13,10 m (43 ft) de long pour un diamètre de 10,05 m (33 ft). Sa structure comprend une section cylindrique centrale, composée de deux demi-sections soudées entre elles, lisses à l'extérieur et gaufrées à l'intérieur. Cette section est située entre deux extrémités formées par des cloisons étanches ellipsoïdes convexes (dômes). Le réservoir est fabriqué en alliage d'aluminium (2219-T87), et la coque est entièrement soudée. Les cloisons étanches sont soudées à la section cylindrique à l'aide de deux pièces appelées anneaux "Y" situés respectivement au sommet et à la base du cylindre. Ces "Y-rings" sont utilisés pour connecter les réservoirs d'ergols à d'autres segments du lanceur lors de l'assemblage final.


Photo de l'opération de positionnement et du montage d'un dôme sur un anneau "Y".

Soudure de l'ensemble.

Le saviez vous ? Le MSFC a mis au point un marteau "spécial" destiné à corriger les déformations du métal causées par la chaleur générée lors des nombreuses soudures : un marteau électromagnétique.
Son principe de fonctionnement est relativement simple : une haute tension traverse une grande bobine, créant des champs opposés entre la zone déformée et "le marteau". Ces champs s'exercent une force de répulsion, et étant donné que la masse de la bobine est supérieure à celle de la pièce, cette dernière se déplace, aplanissant ainsi la déformation. Il n'y a aucun contact physique entre la bobine et la pièce. Pour en démontrer l'efficacité, les démonstrateurs placent une feuille de papier entre la bobine et la pièce déformée avant d’appliquer le "martelage", et la feuille reste intacte après l'opération.



Le réservoir, d'une masse d'environ 12 tonnes à vide, présente un dôme supérieur percé de cinq orifices permettant le passage des tunnels abritant les canalisations d'oxygène liquide pour alimenter les moteurs F-1. Sa base comporte pas moins de 15 orifices, incluant ceux destinés à l'alimentation en RP-1, avec deux arrivées de RP-1 par moteur et une arrivée de LOX. Les dômes circulaires sont formés par l'assemblage de huit fuseaux, chacun constitué de deux pièces cintrées et soudées, à la base et au sommet. À l'intérieur du réservoir, le RP-1 tend à se stratifier en fonction des variations de température, ce qui est indésirable. C'est pourquoi le S-IC intègre un système de conditionnement du carburant, qui fait bouillonner de l'azote gazeux dans les conduites d'alimentation et le réservoir pour "remuer" doucement le RP-1 avant le lancement.
Pour éviter le ballottement du carburant, le réservoir est équipé d'un système anti-ballottement composé de cloisons horizontales en métal gaufré disposées sur plusieurs niveaux, avec quatre rangées sur la partie supérieure et cinq sur la partie inférieure du réservoir, assurant également la rigidité de l'ensemble. À sa base, un dispositif anti-vortex constitué de cloisons verticales forme un ensemble cruciforme au centre du réservoir, décalé par rapport à l'axe central du lanceur, afin de gérer le passage de l'alimentation en LOX du moteur central.


Assemblage par soudure des 8 fuseaux pour former le dôme

Jonction du dôme et de l'anneau "Y"

Assemblage du dôme et du demi-cylindre

Vue partielle du système anti-ballottement

Système anti-vortex du réservoir de RP-1

Assemblage du réservoir de carburant (RP-1) terminé


Schéma

Anecdote : 21 jours avant le leancemùent, le premier étage est chargé en RP-1, un carburant hautement raffiné dérivé du kérosène. À ce moment, le lancement est encore prévu dans trois semaines, mais le RP-1 peut être stocké en toute sécurité dans le réservoir de carburant du S-IC jusqu’au lancement. Le réservoir de carburant du S-IC peut contenir 789 250 litres, soit 635 000 kg, de RP-1.



La jupe inter-réservoir, d'une hauteur de 6,66 m, est fabriquée à partir d'alliage d'aluminium 7075-T6. Sa surface externe est composée de 18 panneaux de revêtement ondulés verticaux, dont l'épaisseur varie de 4,06 mm à 4,69 mm (0,160 à 0,185 in). Il s'agit d'une structure non pressurisée, dont la fonction principale est de séparer le réservoir d'oxygène liquide (LOX) du réservoir de carburant (RP-1). Des fixations aux extrémités avant et arrière des panneaux permettent de relier mécaniquement la structure inter-réservoir aux anneaux Y des réservoirs de RP-1 et de LOX, formant ainsi un ensemble cohérent. Cinq armatures d'anneaux, fabriquées avec des profilés en I, sont disposées perpendiculairement à l'axe longitudinal du lanceur, à intervalles de 1,25 m (49,5 in), afin de maintenir la forme circulaire et d'assurer la stabilité des panneaux de revêtement. Un espace considérable reste à l'intérieur de la jupe inter-réservoir pour l'installation des câbles d'instrumentation, des conduits électriques, des lignes de télémétrie et d'autres composants. Elle comprend également deux portes d'accès et des ouvertures ombilicales pour le montage, l'entretien et l'inspection avant le décollage.

Le réservoir de comburant contient 1 266 216,3 litres (334 500 gallon US) d'oxygène liquide (LOX) à une température de -182°C. Il mesure 19,507 m de long (64 ft) pour un diamètre de 10,058 m, et sa masse à vide dépasse les 19 tonnes. Ce réservoir est également équipé d'un système anti-ballottement constitué de 15 rangées de cloisons horizontales (4 sur la partie supérieure, 6 au centre [2 x 3 avec un espace entre] et 5 sur la partie inférieure), ainsi que d'un système anti-vortex cruciforme concave, épousant la forme du dôme. Les différences par rapport au réservoir de carburant résident dans la longueur (avec une section cylindrique centrale composée de 4 demi-sections) et le nombre d'orifices présents sur ses dômes, le dôme inférieur étant équipé de 5 orifices permettant le passage des tunnels contenant les lignes d'alimentation en LOX.


Réservoir de LOX stocké au centre Marshall

Réservoir stocké à l'extérieur du centre Marshall


Schéma

La pressurisation des réservoirs est réalisée grâce à deux sources : d'une part, de l'hélium stocké dans quatre bouteilles de 6 m de long et 56 cm de diamètre, et d'autre part, 2280 kg d'oxygène liquide destiné aux moteurs, converti en oxygène gazeux.
Les quatre bouteilles d'hélium liquide, fabriquées par Martin Marietta Company (Baltimore, Maryland), sont stockées dans le réservoir d'oxygène liquide (LOX) et non dans celui de RP-1. Cette disposition est plus compatible car l'hélium dégage une température froide qui aurait pu geler le carburant. Un autre avantage de l'environnement cryogénique est la réduction de l'épaisseur des parois des bouteilles d'hélium, lesquelles sont deux fois plus minces que celles des bouteilles non cryogéniques, ce qui permet de fabriquer des bouteilles plus légères. L'immersion dans l'oxygène liquide permet également aux bouteilles en aluminium d'être chargées à des pressions plus élevées.

La jupe avant, d'une hauteur de trois mètres, recouvre le sommet du réservoir d'oxygène liquide et marque la séparation entre le S-IC et l'étage S-II. Comme la jupe inter-réservoir, c'est une structure non pressurisée. Fabriquée en alliage d'aluminium 7075, elle dispose d'un revêtement extérieur plat, auquel sont fixées des lisses pour renforcer la rigidité. Trois anneaux intérieurs soutiennent la structure.



Photo de la Jupe avant

Schéma

Deux tunnels, montés sur la surface extérieure de l'étage, acheminent les câbles, les tuyaux et les charge linéaires entre la structure de poussée, la section d'inter-réservoir et la la jupe avant. Ces tunnels sont conçus en sections modulables, facilitant ainsi l'entretien et les réparations.

Les rétrofusées :
L'étage S-IC est équipé, à sa base, dans les capots de carénage moteur, de 8 rétrofusées (2 par capot). Leur rôle est de ralentir l'étage lors de sa séparation de l'étage S-II. Elles fonctionnent pendant 0,633 secondes et génèrent une poussée de 39,87 kg (87,91 lb) chacune, bien que cette valeur varie en fonction de la température du carburant. Deux unités d'allumage sont installées sur le premier étage pour activer les huit rétrofusées.

Les composants de chaudronnerie du SI-C (environ 90%) sont préparés (découpés et formés) par Boeing à l'usine de Wichita (Kansas), puis envoyés au MAF pour l'assemblage. Avant que les différentes pièces ne soient soudées, elles subissent des processus de nettoyage rigoureux, avec une attention particulière portée au réservoir d'oxygène liquide (1). Lors de l'opération de soudage, le plus grand défi réside dans la déformation des éléments, un problème majeur dans la fabrication de récipients légers, tels que les réservoirs du Saturn V. Les réservoirs d'ergols du S-IC, parmi les plus grands jamais construits, sont particulièrement concernés par ce phénomène.
La chaleur, inévitable pendant une longue passe de soudure, est la principale cause de déformation. Pour réduire cette chaleur et limiter la déformation, plusieurs actions sont mises en place. Le travail se déroule dans des secteurs spécialisés, avec des températures inférieures à 25°C et un taux d'humidité inférieur à 50 %, afin d'optimiser les conditions.

Le nettoyage des composants est effectué à l'aide de plusieurs processus. Les techniciens portent des gants spéciaux non pelucheux. Une opération typique commence par la pulvérisation d'un composé dégraissant, suivi d'un lavage dans une solution détergente. Le rinçage nécessite de l'eau désionisée et décontaminée. Ensuite, la pièce est désoxydée avec une solution d'acide nitrique et rincée une dernière fois pour un nettoyage complémentaire. Après avoir été chauffée, la pièce subit un processus de gravure à haute pression qui enlève une fine couche de matériau. Un dernier rinçage et un séchage à l'air chaud filtré particulièrement filtré pour être exempt d'huile complètent le processus.

À Michoud, Boeing utilise une série de grandes cuves (dont une de 12 m³ et de 6,70 m de haut, surnommée le "plus grand lave-vaisselle du monde") pour nettoyer des composants tels que des valves, des tubes et des segments de parois de réservoir. Chaque réservoir nécessite environ 10 km de soudure, contrôlée par une équipe de 15 techniciens.

Dans le bâtiment d'assemblage vertical à Michoud, les réservoirs sont assemblés et soumis à un test hydrostatique à 105 % de la pression nominale prévue pour le vol. Ce test est surveillé par plusieurs caméras à circuit fermé en raison de la pression élevée. Pour ces tests, de l'eau déminéralisée mélangée à des colorants spéciaux est utilisée pour détecter les microfissures sur la construction. Les essais exercent une pression suffisante pour étirer les dimensions des réservoirs de 1,3 cm. Après le rinçage et le nettoyage, les réservoirs sont minutieusement calibrés pour garantir leur capacité exacte en propergols. L'assemblage du S-IC se fait ensuite "par empilage" de ses éléments, en commençant par le compartiment de propulsion, et les différentes parties sont fixées à l'aide d'attaches spéciales sur l'anneau "Y".


Ci dessus le film du montage d'un SI-C

Le S-IC complet est chargé sur une remorque spéciale et transporté avec précaution vers une zone de la petite baie pour l'installation des moteurs F-1 et des équipements divers. Le déplacement se fait avec une grande attention, car l'étage, transporté horizontalement sur son châssis, ne dispose que de 14 cm de dégagement par rapport au toit.


Insertion des moteurs F-1

SI-C quasiment terminé






Anneaux Y : (pièce de jonction des réservoirs) c'est un anneaux minutieusement usiné à partir de trois billettes en aluminium 2219 T31. Chacune de ces billettes mesure 10,972 m de long, 68,579 cm de large et 13,969 cm d'épaisseur. Elles sont initialement mises en forme (roulées) par la Ingalls Shipbuilding Company à Pascagoula (Mississippi), avant d'être envoyées au Michoud Assembly Facility (MAF) pour y être soudées par procédé MIG (Metal Inert Gas) avec un total de 112 passes pour chaque joint de soudure. L'anneau Y est ensuite usiné dans un environnement à température et conditions contrôlées. Ce composant est conçu pour éviter toute superposition de matériaux lorsque les différentes sections du réservoir sont assemblées. L'anneau Y est la pièce qui prend le plus de temps à fabriquer dans le processus de production du S-IC, avec un délai d'environ deux mois. Son nom provient de sa forme en coupe, qui ressemble à un "Y" après usinage (voir ci-dessous).

Ballottement : désigne un phénomène d'oscillations à faible fréquence d'un liquide à l'intérieur d'un réservoir, résultant de variations d'accélération.

Bon a savoir : le ballottement peut affecter la stabilité en vol d'un véhicule spatial ainsi que l'approvisionnement en carburant de ses moteurs. Les effets de ce phénomène varient en fonction du taux de remplissage du réservoir, et il est possible de réduire son impact en utilisant des dispositifs appelés "anti-ballottement"

Vortex : dans un écoulement à surface libre, un vortex est un tourbillon dont l'axe est vertical, créant une dépression plus ou moins marquée au centre. Ce phénomène est particulièrement visible lors de la vidange d'une baignoire ou dans un mixeur, et dans le cas des réservoirs, il correspond à l'épuisement du carburant.

(1).. Effectivement, l'oxygène liquide présente des caractéristiques de volatilité importantes dans certaines conditions, engendrant des défis uniques lors de son traitement et de la fabrication des composants qui y sont exposés. Lorsqu'il est mélangé avec un hydrocarbure, tel que de la graisse ou de l'huile, l'oxygène liquide devient extrêmement instable, et même une simple étincelle peut provoquer son inflammation. Théoriquement, si un ouvrier laisse une empreinte digitale à l'intérieur d'un réservoir de LOX, l'huile contenue dans cette empreinte pourrait créer une situation explosive. Par conséquent, toutes les surfaces en contact avec l'oxygène liquide ont été maintenues dans une propreté absolue.



(Textes originaux : livre Roll of Honor de la Boeing Company) traduit de l'anglais par Paul Cultrera, tous droits réservés.