LES CAMÉRAS EMBARQUÉES



Dès le début du programme spatial, des appareils photographiques et des caméras sont embarqués sur les lanceurs, notamment sur le lanceur Saturn I, afin de fournir aux ingénieurs restés au sol une précieuse vision du comportement des systèmes qu'ils ont conçus. Contrairement aux prototypes d'avions qui peuvent revenir au sol pour être inspectés et améliorés, les lanceurs ne disposent d’aucun moyen de retour, rendant ces enregistrements essentiels pour l'analyse des performances en vol.

Pour les vols d'essai du lanceur du Saturn V (AS-501 et AS-502), plusieurs caméras sont intégrées afin de filmer le comportement en temps réel de certains ensembles critiques, tels que les moteurs, les réservoirs et les différents étages du lanceur.

Lors du second vol d'essai du Saturn V, Apollo 6 (AS-502), un nombre record de caméras (à la fois en 16 mm et en télévision en direct) est embarqué, dépassant celui de tous les précédents vols Saturn. Le premier étage (S-IC) est équipé de quatre caméras 16 mm et de deux caméras de télévision, tandis que le second étage (S-II) embarque deux caméras 16 mm. Certaines de ces caméras 16 mm sont conçues pour être éjectées à des moments précis du vol, permettant ainsi leur récupération et l'analyse détaillée des films enregistrés.


LES CAMÉRAS DE L'ÉTAGE SI-C


Étage S-IC, caméras 16 mm :
Quatre caméras sont installées à l'intérieur de la jupe avant du premier étage. Deux d'entre elles (position 1 et 3) sont orientées avec leurs objectifs en avant, c’est-à-dire en direction du second étage (S-II), et inclinées vers l'intérieur de 5°. Leur rôle est de filmer la séparation entre le premier et le deuxième étage. Ces caméras sont de type 16 mm et commenceront à filmer 144 s après le décollage. Elles enregistreront pendant 40 s à une fréquence de 100 images par seconde, sur pellicule couleur Ektachrome 100.
Les deux autres caméras, de même type, sont montées avec l'objectif orienté vers l'arrière et sont reliées par des faisceaux de fibres optiques à des regards situés sur le sommet du réservoir d'oxygène liquide.
Ces regards servent à la fois de fenêtres d'observation et de supports pour les lumières stroboscopiques, qui éclairent le réservoir de l'intérieur. Le stroboscope permet aux caméras d'enregistrer le comportement de l'oxygène liquide pendant le vol. Ces caméras sont activées 30 secondes avant le décollage, et les lumières stroboscopiques seront éteintes juste avant la coupure du moteur du premier étage.

Toutes les caméras 16 mm montées sur le premier étage (S-IC) et, accessoirement, celles du second étage (S-II) sont logées dans des containers récupérables. Ces caméras sont éjectées de l'étage par catapultage à l'aide de tubes et d'azote sous pression. L'éjection a lieu 174 s après le décollage du véhicule, soit 25 s après la séparation des étages. L'impact des containers récupérables est prévu à environ 740,740 km du site de lancement, environ 10 min après le décollage, pour les caméras situées sur le S-IC.

Étage SI-C, caméras TV :
Les deux caméras de télévision sont installées à l'intérieur du compartiment de propulsion du premier étage. Chacune de ces caméras est équipée d'un faisceau de fibres optiques qui se divise en deux paquets distincts, acheminant les signaux vers des lentilles montées à l'extérieur du bouclier thermique, dans la zone des moteurs F-1. Ce système permet de produire deux images pour chaque caméra, soit un total de quatre images pour l'ensemble du système. Les images seront inclinées de 90° par rapport à la verticale afin d'offrir une vue plus large, et deux images seront affichées sur chaque tube cathodique.


Dans certains cas, les ingénieurs ont pu tirer profit de ces caméras, mais leur utilisation a aussi été limitée par certaines contraintes. Ces limitations étaient principalement dues à des interférences entre les signaux de télémétrie ou de télévision et les opérations de mise à feu de petites rétrofusées. Ces rétrofusées étaient utilisées pour retarder légèrement le premier étage (S-IC) afin de garantir sa séparation. Par ailleurs, d'autres fusées à combustible solide s'allumaient dans le deuxième étage (S-II) pour effectuer une action d'ullage (tassement), amenant ainsi les combustibles liquides vers le bas des réservoirs.


LES CAMÉRAS DE L'ÉTAGE S-II

Les deux caméras transportées par le S-II sont fixées au compartiment de propulsion, près de la périphérie extérieure aux positions 1et 3 du véhicule. L'objectif de prise de vue est orienté vers l'arrière pour filmer la séparation entre le premier et le second étage, ainsi que le largage de la jupe inter étage. La caméra 1 est située entre les moteurs 1 et 4 tandis que la caméra 2 se trouve entre les moteurs 2 et 3.
Les caméras sont activées par un commutateur environ 148,5 s après le décollage, juste avant la première séquence de séparation (S-IC et S-II). Leur durée d'enregistrement est d'environ 40 s. Le film est marqué à 0,1 s avant la première séquence de séparation, à 0,1 s après l'allumage des moteurs du S-II et à 0,1 s après la deuxième séquence de séparation (celle de la jupe inter étage). Le container sera éjecté environ 8 s après la deuxième séquence de séparation, ou environ 187,5 s après le décollage, à une altitude de 90,740 km et à une distance de 83,333 km du site de lancement. Les caméras du S-II amerriront 11 minet 16 s après le décollage, dans un zone à environ 760 kilomètres du lieu de lancement.

Localisation des caméras du S-II.



TECHNOLOGIE DES CAMÉRAS RÉCUPÉRABLES



Les caméras sont conçues et mise au point par les ingénieurs et les techniciens du centre des vols spatiaux de la NASA, avec l'assistance du centre technologique Cook, basé à Chicago. Les containers récupérables contenant les caméras sont divisés en 3 compartiments étanches :

a) le premier compartiment, en acier inoxydable, est équipé d'une lentille en quartz qui protège l'appareillage contre l'échauffement aérodynamique. Il contient l'objectif de la caméra.
b) le second compartiment, en aluminium, abrite la caméra elle-même, comprenant le magasin à bobine de film 16 mm et les composants électroniques.
c) le troisième compartiment, contient l'équipement de récupération, qui comprend :
- les ailerons stabilisateurs.
- le baromètre anéroïde.
- le paraballon.
- la balise radio montée sur la partie supérieure du paraballon (pour la localisation par avions ou bateaux).
- une balise stroboscopique de signalement émettant 20 flashs/min.
- du colorant de surface vert fluo facilitant le repérage visuel.
- un répulsif (85 g d'acétate de cuivre), libéré au moment de l'impact avec le colorant, pour éloigner les requins et autres formes de vie marine susceptibles d'endommager le ballon, le container ou d'entraver l'équipe de récupération.


Longueur : 71 cm.
Diamètre : 18 cm.
Masse : environ 28 kg.


Chronologie des événements


Les containers contenant les caméras sont éjectées pneumatiquement à l'aide d'azote sous pression. Dès qu'ils quittent leur logement, les ailerons stabilisateurs à ressort s'ouvrent pour la premiere partie de la descente de manière aérodynamique. Chaque container est également équipé d'un "paraballon", une sphère gonflable dotée d'une jupe à glissière, similaire à un parachute. Lorsque les containers atteignent les 4572 m d'altitude, le paraballon se gonfle automatiquement provoquant la chute des ailerons. En continuant à se gonfler, le paraballon atteint son diamètre maximal de 46 cm. La traînée combinée du paraballon et de la jupe ralentit la chute du container à une vitesse terminale d'environ 30 m/h, vitesse à laquelle il heurte l'eau. Le paraballon gonflé fournit suffisamment de flottabilité pour maintenir le container à flot.
Environ 6 secondes après le gonflement du paraballon, une balise radio de type SARAH (Search and Rescue and Homing) et une balise lumineuse stroboscopique de signalement sont activées.



Photos montage de la séquence de déploiement du paraballon (photo blog : Growing Up With Spaceflight.)

Photo de l'équipe de plongeurs (Demolition Team 21) avec les caméras récupérées du vol Apollo 4. (photo : Ed Hengeveld)

Aprés le splashdown, le colorant (pour faciliter le repérage visuel) et le répulsif pour requins sont libérés afin de protéger le container et les plongeurs chargés de sa récupération. Le motif peint du paraballon contribue également à une récupération en toute sécurité. Une alternance de panneaux blancs et orange, situés au-dessus de la ligne de flottaison, permet d'assurer une grande visibilité. L’hémisphère situé sous de la ligne de flottaison est coloré en violet foncé, ce qui réduit l'attractivité pour les poissons curieux.


Films 16 mm des caméras embarqueés.


Lien de téléchargement de la vidéo



Avantage de capsules de la caméra

Pourquoi les capsules de film récupérées sont-elles si précieuses?

Les capsules de film récupérées sont si précieuses en raison des défis uniques auxquels sont confrontés les concepteurs de lanceurs spatiaux. Contrairement aux concepteurs d'avions, qui peuvent tester leurs prototypes à plusieurs reprises et obtenir des retours directs grâce aux pilotes d'essai et aux enregistreurs de données, les concepteurs de lanceurs ne peuvent pas récupérer leurs fusées après un vol d'essai. Une fois qu'une fusée est lancée, il est impossible de la ramener au sol pour évaluer son comportement. Ainsi, des caméras embarquées fournissent les seules informations visuelles et comportementales durant le vol, permettant aux ingénieurs d'observer les performances de la fusée en temps réel. Ces données sont cruciales pour détecter des problèmes et améliorer la conception des futurs lanceurs.


Anecdote : Petit mais costaud... Sur les véhicules Saturn I Block II, huit containers à caméra sont transportés. Bien que tous ne soient pas récupérés, une situation unique s'est produite avec le lancement du SA-7 le 18 septembre 1964. Le lanceur a été lancé en urgence pour battre l'arrivée de l'ouragan Gladys, éjectant ses containers en plein milieu de la tempête. Sept semaines plus tard, deux de ces containers ont été retrouvés sur les îles de San Salvador et d'Eleuthera, malmenés mais avec leurs films intacts, malgré les conditions extrêmes et la présence de bernacles.



Baromètre anéroïde : (à capsule dans laquelle règne une pression réduite). La pression atmosphérique écrase cette capsule. Les variations de pression sont amplifiées mécaniquement. Une aiguille indique alors la pression. Ils ne sont pas d'une précision redoutable mais ils sont facilement transportables.
Le baromètre est un instrument de mesure, utilisé en physique et en météorologie, qui sert à mesurer la pression atmosphérique. Il peut, de façon secondaire, servir d'altimètre pour déterminer, de manière approximative, l'altitude (dans notre cas).



paraballon : sphère gonflable à laquelle est attachée une collerette en forme de parachute. Avec un diamètre maximum de 45 cm, on lui à peint des bandes alternativement blanches et oranges vif au dessus de la ligne de flottaison pour aider à son repérage aprés l'amerrissage.


Action de marquer: on marque un film afin d'en simplifier le "montage", car ce marquage permet d'isoler plus facilement les différentes séquences.



Textes de Paul Cultrera tous droits réservés avec la participation de SpaceNut, Patrick, mic8..