LE SYSTÈME ALIMENTAIRE : REPAS, USTENSILES, ÉVOLUTION (suite)

En cas de dépressurisation de la cabine, l'équipage revêt leurs combinaisons pressurisées. L'alimentation doit donc se faire par le port (nourrice alimentaire) d'alimentation du "bubble" casque avec l'utilisation de l'adaptateur d'alimentation.
Seul les fluides, principalement les jus de fruit sont bus dans ces conditions car la nourriture solide est trop consistante et volumineuse pour passer par l'adaptateur. Cette condition peut durer jusqu'à cinq jours.
Les astronautes possèdent un kit nécessaire de branchement sur le port du "bubble" casque :

- une poche de contrainte d'alimentation : c'est un sac très résistant en nylon ou l'on enferme le sachet d'alimentation pour empêcher sa rupture.
Une fois le sachet d'alimentation en place, la poche peut être compressée, contraignant le contenu du sachet (en l'occurrence des boissons) a passer par l'adaptateur dans la bouche du membre d'équipage.

- l'adaptateur d'alimentation : c'est un tube dans lequel s'insèrent, d'un côté la valve du sachet de nourriture, de l'autre le port d'alimentation du "bubble" casque (jusqu'à la bouche de l'astronaute).


Le "Pontube"

Ensemble "poche et adaptateur" d'alimentatation


Un technicien essayant le pistolet à eau à travers le port d'alimentation du bubble casque

Une rasade d'eau fraîche

Il y a eu pendant les vols Apollo une évolution de l'alimentation (que ce soit pour le conditionnement des mets, des choix nutritionnels, de leur fabrication en passant par leur introduction dans le menu par l'équipage). Quatre-vingt-seize aliments différents étaient disponibles avant la première mission Apollo habitée. Environ 60 de ces aliments ont été développés pendant le programme Gemini. Sur les 42 aliments différents qui seront utilisés lors du vol Apollo 12, seuls 24 figurent sur la liste originale des aliments Apollo.
Voici une chronologie simplifiée de cette évolution :

Apollo 7: utilisation des rations alimentaires semblables à celles du programme Gemini, comprenant néanmoins une plus grande variété d'aliments. Absorption par succion du contenu, aucune amélioration apportée.
Cependant, alors que la disponibilité de 96 produits alimentaires au total pour ce vol a contribué à une meilleure acceptation et à une consommation accrue par rapport aux rations type Gemini, le temps et les problèmes inhérents nécessaires pour la préparation des repas ont augmenté.

Anecdote : C'est en vue de ce vol et seulement de celui-ci que la toute première crème glacée lyophilisée (saveur napolitaine) de l'histoire des vols spatiaux fut fabriquée (Attention ceci n'est pas une légende urbaine). Elle était même inscrite au menu, d'après le "Press Kit" d'Apollo 7 (sunday, october 6,1968).
Mais d'après Walt Cunningham (LMP sur Apollo 7) : "ils n'ont jamais eu ce genre de chose". Le produit a été développé et testé au sol, mais a finalement été rejeté pour le vol.

Comment la fabrique t-on??

Elle fut développée par Whirlpool Corporation, sous contrat pour la NASA.
C'est un mélange de graisse de noix de coco, de lait déshydraté, et de sucre qui est homogénéisé, congelé, puis lyophilisé (lire la procédure décrite en toute fin de la 1er page)...
Le résultat final ressemble plus à une mousse aromatisée à la crème glacée. En effet, le procédé de lyophilisation permet de maintenir la structure car la glace ne fond pas réellement; elle passe directement à l'état de gaz et laisse ainsi toutes les poches d'air.
Par la suite elle est moulue et comprimée en cube sous haute pression. Les cubes sont alors enduits d'une gélatine comestible pour empêcher les miettes.


Une tranche de crème lyophilisée (vendue dans les boutiques comme "la glace des astronautes")

Apollo 8 : l'équipage d'Apollo VIII teste une cuillère à café conventionnelle pour manger et constate que ce mode de consommation dans l'apesanteur est tout à fait satisfaisant.
Les résultats mènent à la nouvelle conception d'un paquet de nourriture qui rend l'utilisation des cuillères beaucoup plus facile.

Anecdote : Le 25 décembre 1968, pendant la mission Apollo 8, les astronautes ouvrirent leurs paquets-repas (style plateau TV) et purent découvrir de la dinde thermo-stabilisée en sauce, une compote de canneberge et pommes, une "coupe" de punch au raisin et du café.
Le plat principal de ce repas (la dinde) a été conservé dans sa texture originale (la teneur normale en eau [67 %] a été conservée). Ce plat n'a demandé aucune réhydratation et a pu se manger avec une cuillère.
Le repas prêt-à-manger, thermiquement stabilisé, est contenu dans une boîte flexible qui devint connu sous le nom de "wetpack", un terme utilisé pour différencier cet emballage des aliments déshydratés qui nécessitent l'ajout d'eau avant leur consommation.
Les emballages flexibles sont fabriqués à partir d'un stratifié de polyester, de papier d'aluminium et de polyoléfine...
... Et dire que les contrôleurs de Houston avaient des hamburgers et des chips, à noter aussi que Deke Slayton avait caché 3 bouteilles miniatures de brandy (qui n'ont pas été ouvertes).


Sachet contenant de la dinde en sauce (NASM)

Menu de Noël complet du vol Apollo 8

Apollo 9 : sur ce vol, plus d'articles humides ont été ajoutés au système alimentaire. La variété des aliments fournis pour ce vol a rendu les régimes de l'équipage plus typiques de ceux consommés sur Terre. L'utilisation intensive de conteneurs humides (wetpack) sans difficulté au cours de cette mission a confirmé la possibilité de manger une partie substantielle de la nourriture dans des conteneurs ouverts. Le pilote du LM (Rusty Schweickart) a éprouvé des nausées et fut pris de vomissements.
La manipulation de son menu (chaque astronaute a une couleur différente pour son menu) en vol a eu pour effet de réduire ses tendances à la nausée et a représenté la première utilisation du choix en temps réel des aliments pour parer à des réponses physiologiques indésirables aux stimuli vestibulaires.
La mission d'Apollo 9 comporte également la première utilisation du système alimentaire du LM.

Apollo 10 : l'évolution du système d'office continue sur ce vol, pendant lequel un paquet à ouvertures zippées est emporté. Il permet l'utilisation d'une cuillère.
Ce paquet modifié possède une soupape d'admission d'eau à une extrémité et deux grandes ouvertures zippées de l'autre, qui permet d'accéder à la nourriture réhydratée avec une cuillère. De grands morceaux de viande et de légumes déshydratés sont maintenant introduits pour fournir une texture plus familière et plus acceptable (avant, la texture de la nourriture ressemblait plus à celle des pots pour bébé). En raison de cette modification, quelques membres d'équipage d'Apollo ont exprimé une préférence pour les nourritures choisies en forme réhydratable par rapport au packs déjà tout prêts.
L'astronaute Eugene Cernan déclara "qu'il était plus agréable de pouvoir enfin utiliser une petite cuillère pour manger, au lieu de suçoter le sachet de nourriture".

Ce vol a également marqué la première utilisation réussie de tranches de pain frais traditionnel (et de tartinades à sandwich) lorsque la NASA, pour la première fois, a dérogé à son exigence de conditionnement sous vide complet et a autorisé le conditionnement sous une pression partielle d'azote. Ce pain a une durée de conservation à la température du véhicule Apollo d'au moins quatre semaines.
La fourniture du pain a permis aux membres d'équipage de faire des sandwichs en utilisant des salades de viande à tartiner fournies dans des conteneurs séparés (utilisation pour la premère fois de conserve en aluminium rigide avec des couvercles amovibles). Les pâtes à tartiner sont stérilisées par traitement thermique dans des chambres hyperbares afin de réduire la détérioration de la texture des aliments et sont conditionnées dans des boîtes de conserve ou des tubes flexibles en aluminium. Ce procédé permet de mieux préserver la saveur et la texture naturelle en réduisant la durée et la température du traitement thermique.
Une modification supplémentaire pour la mission Apollo 10 a été l'introduction du concept de garde-manger. Un espace de casier a été réservé à un ensemble d'aliments (boissons, soupes, desserts et aliments en bouchées) pour compléter les repas préemballés.

Apollo 11 : des nouveaux mets sont introduits pour le vol, du fromage cheddar (en tartinade) ainsi que des saucisses de Francfort thermostabilisées. Pour ce vol, les tartinades sont maintenant toutes conditionnées dans des canettes en aluminium qui comportent une languette pour retirer facilement l'opercule (mais reste conditionnées dans des tubes en aluminium pliables pour le LM).

Vidéo NASA Apollo program astronaut food processing & menu development film space food 98564 (license Périscope Film LLC)

Photo tirée de la revue italienne "Epoca" de juin 1969, sur les repas du vol Apollo XI.
Buzz Aldrin se faisant un sandwich à l'aide d'une tartinade dans son nouvel emballage (vidéo NASA)

Apollo 12 : le système d'alimentation pour Apollo 12 est tout à fait semblable à celui qui a été couronné de succès pour Apollo 11.
Des œufs brouillés déshydratés ont été présentés et ont été bien acceptés par l'équipage. D'autres changements de menu ont été effectués sur différentes conditions d'éléments nutritifs avec l'avis des membres d'équipage lors de réunions.

Anecdote Pour lutter contre la moisissure sur le pain frais fourni lors des missions Apollo 12 à 17, le pain a été produit à partir de farine irradiée (farine exposée à 50 000 rads de rayons gamma en utilisant du cobalt-60). De plus, pour les trois dernières missions Apollo (voir Apollo 15), le pain a reçu un deuxième traitement d'irradiation après la cuisson (également 50 000 rad).


Apollo 13 : le système alimentaire a introduit le premier jus d'orange naturel déshydraté.
Le jus d'orange n'a pas été utilisé précédemment parce que les méthodes de déshydratation disponibles n'ont pas empêché la fusion des sucres naturels avec la formation d'une masse insoluble. La fourniture de jus de fruit permet d'améliorer la qualité et la valeur nutritive du repas.

Apollo 14 : le vol d'Apollo XIV a été marqué pour la première fois, lors du retour des membres d'équipage, sans changement crucial de masse corporelle. Au contraire, deux d'entre eux, Alan Shepard (CDR) et Ed Mitchell (LMP) ont même grossis (400 g pour le premier et 500 g pour le second), le CDR et le LMP ont consommé quasiment toutes leurs provisions alimentaires programmées. Le système alimentaire d'Apollo 14 a inclus des réserves supplémentaires et un dispositif incorporé de boissons pour éviter le rationnement comme sur le vol Apollo XIII (après l'accident). Ceci a permis aux astronautes de mieux maintenir l'équilibre "liquide" pendant les longues opérations extravéhiculaires sur la surface lunaire.
La nourriture de ce vol est semblable à celle des missions Apollo précédentes. Six nouveaux aliments ont été inclus dans le menu :
1) Bisque de langoustine (lyophilisée).
2) Ambroisie de pêche (dessert lyophilisé).
3) viande de bœuf séchée (prêt à déguster).
4) Pêches découpées (thermostabilisées).
5) Fruits mélangés (thermostabilisés).
6) Pudding (thermostabilisé).
Les trois derniers articles ont été empaquetés dans des boites en aluminium avec un couvercle (opercule) facile à ouvrir. L'équipage n'a rapporté aucune difficulté pour enlever les couvercles ou de manger les aliments contenus dans ces boites avec une cuillère.
Avant la mission, chaque membre d'équipage a évalué les aliments disponibles et a choisi son menu individuel pour le vol. Ces menus ont fourni approximativement 2100 calories par homme et par jour. Pendant la majeure partie du vol, l'équipage a maintenu un journal de consommation de la nourriture. Le CDR et le LMP ont mangé toute la nourriture prévue pour chaque repas, mais le CMP a été le moins satisfait.
Les examens physiques effectués le jour de récupération ont indiqué que le CDR et le LMP avaient maintenu leur masse approximative d'avant le vol, alors que le CMP avait perdu presque 4,5kg. Le CMP a déclaré qu'il aurait préféré une plus grande quantité d'aliments ayant besoin de peu ou pas de temps de préparation.

Anecdote : Le régime de salubrité des aliments tout au long du programme Apollo comprend la production et l'emballage final de tous les produits alimentaires dans une salle blanche à air filtré de classe 100 000 ppm pour maintenir un faible taux de comptage microbiologique des aliments. Les aliments sont également examinés pour déceler la présence de métaux lourds. Le seul écart par rapport aux performances parfaites dans le domaine de la sécurité alimentaire a été l'échec de la détection précoce de la contamination au mercure dans la salade de thon d'Apollo 14. La teneur en mercure dépassant les limites maximales établies par la US Food and Drug Administration, le thon a été retiré du système alimentaire peu avant le lancement, et un substitut nutritionnel équivalent du garde-manger a été utilisé pour compléter le menu.

Apollo 15 : les membres d'équipage d'Apollo 15 ont consommé de la nourriture solide tout en travaillant sur la surface lunaire. De longues et denses barres nutritives ont été installées à l'intérieur de la combinaison pressurisée en plus du système de boissons déjà présent sur les combinaisons du vol Apollo 14.
Cet équipage à été le premier a consommer toute la nourriture fournie lors de la mission.
Du pain frais coupé en tranches a été pasteurisé à froid par exposition à 50 000 rads de rayons gamma (cobalt-60). Cette procédure a été employé pour la première fois lors de ce vol.

Apollo 16 : les électrocardiogrammes des membres d'équipage d'Apollo 15 ont indiqué des arythmies occasionnelles probablement liées à un déficit en potassium. Dans un effort pour empêcher la répétition d'une telle situation semblable lors d'Apollo 16, les menus ont été enrichis en potassium, notamment les jus de fruit (raisin, orangeade, ananas-orange, ananas-pamplemousse, pamplemousse sucré, cacao) dans lesquels on dilua du gluconate de potassium.
Mais la prise excessive de potassium entraîna un dérangement gastro intestinal rapporté par un membre d'équipage, que l'on pût contrecarrer par des changements de menus lors du vol.

Apollo 17 : en plus d'une utilisation libre des nourritures améliorées précédemment décrites, le système d'Apollo XVII a été modifié par l'introduction de steaks de jambon blanc entier (enfin!!). Il a été choisi parce que sa saveur traitée masque une odeur légèrement écoeurante produite lors du processus de stérilisation par exposition à l'irradiation au cobalt-60 (3,7 megarads). Il est présenté en tranche pour qu'il puisse être mangé dans des sandwichs avec du pain blanc ou de seigle, ainsi qu'avec des gâteaux aux fruits secs.
Tous les deux ont été fortement appréciés pour les membres d'équipage.

À savoir : Le gâteau aux fruits secs est nutritionnellement complet. Il fournit tous les aliments requis par l'homme dans leurs proportions correctes. Celui-ci contient beaucoup d'ingrédients comme : farine de soja, farine de blé, sucre, œufs, sel, cerises, ananas, noisettes, raisins secs, et shortening. Des vitamines ont été ajoutées. Le produit est thermostérilisé dans une poche flexible imperméable et est solide sur l'étagère jusqu'à son ouverture. Ce gâteau aux fruits secs peut fournir un casse-croûte ou un repas nutritif.



Recette du gâteau aux fruits secs du vol Apollo XVII


2/3 d'une tasse de farine à gâteau tamisée
1/2 tasse plus 3 cuillieres à soupe de farine de soja
1/2 cuillère à café de sel.
1 cuillère à café de levain en poudre.
1/4 cuillère à café de clou de girofle moulu
1/4 cuillère à café de noix de muscade
1/2 cuillère à café de cannelle
3/4 tasse de sucre
5 cuillieres à soupe de shortening (on peut le remplacer par du beurre).
1 gros œufs
1 1/2 cuilliere à soupe d'eau
1 tasse de raisins secs légers
(A nouveaux) 1 1/2 cuilliere à soupe d'eau
1/2 tasse de cerises confites (coupées en deux)
1/3 tasse d'ananas confis découpé en dés
1 tasse de morceaux de noix de pécan

Mélanger et tamiser ensemble les farines, le sel, le levain en poudre et les épices. Mettre de côté. Lier le sucre et le shortening ensemble complètement, incorporer l'œuf à ce mélange et mélanger (fort).
Mélanger les ingrédients secs et l'eau. Mettre les fruits et les noisettes dans la pâte, mélanger jusqu'à ce tout les fruits soient également répartis.
Mettre au four (recouvert d'un papier alu) pendant 1 heure à 150°C.. une fois cuit laisser refroidir (une nuit entière de préférence).

Bonne dégustation.


Shortening : Huiles végétales parfois additionnées d'huiles animales, chimiquement transformées en gras solide par un procédé d'hydrogénation. Sans saveur, le shortening sert habituellement pour la cuisson, la friture, les beignets, les pâtisseries, les pains et les gâteaux. Notez que le procédé d'hydrogénation converti les gras insaturés en gras saturés, détruisant du coup leur action bénéfique. Le shortening peut être gardé un an à la température de la pièce.


Mets et condiments.

Enfin comme dirait un célèbre chef Français (Joël Robluchon) : "Bon appétit bien sûr..."

 

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Texte de Paul Cultrera, tous droits réservés, sources : livre en anglais "Biomedical results of Apollo" et documents PDF n°: 19740020236_1974020236.pdf, personal crew equipment.pdf (renommé).
FINAL REPORT, 1 October 1968 to 31 January 1973 Contract NAS 9-8927, FLIGHT FEEDING SYSTEMS DESIGN AND EVALUATION