LE PROBLÈME DE LA POUSSIÈRE LUNAIRE
Rapide présentation
On l'appelle aussi régolithe : elle résulte de la dégradation in situ des roches sous-jacentes, provoquée par les impacts de météorites et l’action du vent solaire à la surface de notre satellite. Riche en fer, calcium et magnésium, elle est également composée d’environ 50 % de matériaux vitreux formés par les impacts de météorites. Ces derniers, qui se produisent depuis des milliards d'années, font fondre les roches, les transforment en verre, puis réduisent celui-ci en poudre.
Le régolithe recouvre la Lune sur plusieurs mètres d’épaisseur, estimée entre 3 et 5 m dans les mers lunaires et jusqu’à 10 à 20 m sur les hauts plateaux. Cette couche présente une porosité élevée, proche de 50 %, et sa nature ainsi que sa structure influencent directement la diffusion de la lumière solaire. Des échantillons ont été collectés lors des missions Apollo.
![]() Empreinte de Buzz Aldrin dans la régolythe |
Composition
Le régolithe lunaire est constitué de fragments issus d'impacts météoritiques, dont la taille moyenne avoisine 19 microns, soit environ 40 % de moins que l'épaisseur d'un cheveu. Composé principalement de silice (SiO₂ - 44,72 %) et d'alumine (Al₂O₃ - 14,86 %), il contient également du fer, du calcium et du magnésium sous forme de minerais tels que l'olivine et le pyroxène. Ce matériau est hautement poreux, magnétique, dentelé et tranchant, et il présente des propriétés allergènes.
SES INCONVÉNIENTS
1) Le régolithe obscurcit la vision des astronautes lors de l'atterrissage, car il est soulevé et chassé par les gaz du moteur de descente du LM. Le témoignage de l'équipage de la mission Apollo XI en témoigne (en VO) :
- " The Apollo 11 crew reported that “Surface obscuration caused by blowing dust was apparent at 100 feet and became increasingly severe as the altitude decreased.”
De plus, cette poussière lunaire a conduit à des lectures erronées des instruments (ALSEP), en raison du dépôt de cette poussière sur les cadrans.
2) Il est important de noter que le régolithe, contrairement à la poussière terrestre, est fortement magnétisé par le rayonnement solaire en l'absence d'atmosphère. Par conséquent, cette poussière colle fortement aux combinaisons spatiales. Les astronautes des missions Apollo ont rencontré de grandes difficultés pour s'en débarrasser, car il est impossible de se brosser dans le vide : cela ne fait qu'étaler la poussière ou l'enfoncer davantage dans les fibres des combinaisons.
De plus, étant beaucoup plus fine que le sable terrestre, elle n'en est pas moins un abrasif de premier ordre. Aussi fine que du talc, chacun de ses grains comporte des arêtes vives et des aspérités semblables à des crochets. elle a partiellement percé les gants externes des combinaisons. La poussière lunaire s'infiltre partout, notamment dans les joints et les articulations des combinaisons, les endommageant rapidement, réduisant leur souplesse et provoquant des fuites au-delà des spécifications du constructeur.
Pete Conrad a témoigné que les combinaisons de vol étaient plus usées après huit heures d'activité sur le sol lunaire que leurs combinaisons d'entraînement après 100 heures de formation.
Lors de la mission Apollo XII, avant le premier EVA, la combinaison de Peter Conrad, une fois fermée et pressurisée, a présenté une fuite de 0,15 lb/in²/min, atteignant 0,25 lb/in²/min après la deuxième EVA. Étant donné que la limite de sécurité était fixée à 0,30 lb/in²/min, il aurait été dangereux d'exécuter une troisième EVA si elle avait été programmée.
3) Enfin, elle encrasse les outils et les instruments (ces derniers, noircis par la poussière, absorbent la lumière solaire et tendent à surchauffer). Elle dégrade également les performances des radiateurs de refroidissement et obstrue les mécanismes. Sa capacité à recouvrir tout avec une ténacité surprenante est notable.
À noter : les combinaisons Apollo modèle A7LB étaient conçues pour un maximum de 3 EVA (merci à Aspic pour l'anecdote). Pour la mission Apollo XVII, les astronautes ont rapporté que des particules de poussière avaient réussi à bloquer les joints des épaules.
D'un point de vue médical, elle irrite les yeux et les muqueuses nasales et peut, le cas échéant, pénétrer par les voies respiratoires des astronautes, provoquant des microlésions dans les poumons. Elle présente également une odeur distinctive et piquante.
En conclusion, on peut affirmer que la Lune représente un environnement particulièrement salissant et dégradant pour le matériel et les hommes.
Anecdote : En décembre 1972, au cours de la mission Apollo XVII, Harrison Schmitt et Eugene Cernan revenaient d'une longue exploration lunaire autour de la vallée Taurus-Littrow. En gravissant l'échelle métallique, des traces de poussière lunaire marquaient le plancher du module lunaire Challenger. Après avoir pressurisé l’habitacle et respiré l'air, Schmitt fit remarquer :
"Ça sent comme la poudre ici-dedans".
"Oui, n'est-ce pas ?", répondit Cernan.
En réalité, la poussière lunaire s'était transformée en aérosol odorant, flottant dans la cabine qui se trouvait dans un état proche de l'apesanteur. Un peu plus tard, Schmitt se plaignit de s'être senti incommodé et légèrement malade ("J’avais les cartilages du nez gonflés pendant des heures") après avoir été exposé à la poussière lunaire. Il avait eu une réaction allergique que le Dr Kerschmann nota. Ces symptômes, qualifiés de "rhume des foins de la poussière lunaire", disparurent le lendemain sans laisser de traces. Après avoir passé 75 heures sur la Lune et 12,5 jours dans l’espace, l’équipage retourna sur Terre, et cette histoire fut pratiquement oubliée.
À savoir : le commandant de la mission Apollo XV, David Scott mentionna que l’odeur rappelait "un peu celle de la poudre de pistolet", tout comme l’astronaute du vol Apollo XVI, Charlie Duke (LMP), qui déclara : "On aurait dit que quelqu’un venait de tirer à la carabine."
Quelques solutions furent trouvées pour atténuer les nombreux problèmes causés par cette poussière :
- une brosse avec des brins en nylon (en réalité peu efficace sur le grain fin).
- des chiffons humides (utilisés pour nettoyer la peau et les équipements à l'intérieur du LM).
Entre les EVA, les fermetures à glissière et les connexions des gants ainsi que du bubble casque étaient nettoyées, puis lubrifiées avec de l’huile Krytox et de la graisse. Une protection (bâche en tissu) fut ajoutée pour les connecteurs ombilicaux du TLSA et les connexions au poignet de la combinaison. Un petit aspirateur se trouvait à bord du CM et fut utilisé pour limiter la poussière transférée du LM au CM lors de l'amarrage de retour, mais son efficacité restait limitée.
Source (PDF "The Effects of Lunar Dust on EVA Systems
During the Apollo Missions"), texte de Paul Cultrera, tous droits réservés.