MISSIONS 2TV-1.



Dans les premiers mois de 1968, le programme spatial alla de l'avant toujours plus rapidement. Les préparatifs étaient en cours pour le vol Apollo VII, le premier vol Apollo habité prévu à la fin de l'automne, tandis que les lanceurs Saturn V complets, étaient lancés dans une série de vols non-pilotés. Toutefois, avant Apollo VII, quelques tests clés devaient être réussis à l'été précédent.

Inconnus des historiens occasionnels, et oubliés par l'histoire, quelques événements, à Houston, furent considérés par certains comme des plus importants dans le programme spatial de l'époque. Au début de l'été 1968, le sort de la course à l'espace s'articula autour du laboratoire de simulation d'environnement spatial (SESL).
Le SESL est composé de deux chambres à vide massives afin de tester le tout nouveau vaisseau spatial Apollo ainsi que le module lunaire (LM) dans un environnement spatial simulé par tous les moyens à l'exception de l'apesanteur.
Avec le vaisseau spatial Apollo (CSM) testé dans la chambre A et le LM testé dans la petite chambre B, les deux appareils furent soumis à des températures extrêmes et à l'éclairage rencontrés dans l'espace.

On considéra primordial le succès d'un essai sous vide thermique d'un CSM habité en juin 1968. Un essai habité dans la chambre A serait une sorte de justification après le drame d'Apollo I. Le vaisseau Apollo de 1968 était une bien meilleure version que le Block I impliqué dans l'incendie.
Officiellement désigné 2TV-1, ou essai numéro 1 du Block II sous vide thermique, l'essai habité de huit jours simula un voyage spatial et rassura chacun sur le fait qu'un test au sol pouvait alors bien se passer. Les changements d'atmosphère, de pression et l'ignifugation à l'intérieur de la cabine furent évalués pour la première fois avec un équipage à l'intérieur.
Non seulement les résultats de ce test habité ouvrirent la voie pour le vol Apollo VII, mais il montrèrent aussi que le programme spatial avait appris des erreurs de l'incendie. En fait, les planificateurs de NASA donnèrent plus de priorité à la construction du vaisseau spatial 2TV-1 (CSM-098) que son sister ship Apollo VII (CSM-101). Cette réflexion s'est aussi adressée au LM qui fut évalué dans la chambre B. C'est sa construction qui fut considérée plus importante que la série de LM qui serait finalement lancée dans l'espace.


PETIT HISTORIQUE...

Le CSM version Block I était essentiellement un prototype, conçu pour voler en orbite terrestre. Lorsque le développement du vaisseau spatial Apollo a commencé en 1961, la méthode de vol vers la Lune n'était pas encore décidée. Lorsque la méthode de rendez-vous en orbite lunaire a été choisie en 1962, le besoin s'est fait sentir d'une version plus avancée du vaisseau spatial, équipée de moyens d'amarrage avec le module lunaire (LM). En 1963-64, cette version est devenue la version Block II, qui disposait d'un tunnel d'amarrage permettant à l'équipage d'être transféré dans le LM dans un environnement pressurisé. La différence entre les deux versions du vaisseau spatial est également illustrée par un changement de désignation des équipages annoncé en novembre 1966. Les membres de l'équipage du Block I étaient appelés pilote commandant, pilote principal et pilote. Pour les vols du Block II, les désignations seraient Commandant, pilote du module de commande et pilote du module lunaire.

L'évaluation d'un CSM Block II dans le SESL en soutien aux missions lunaires devait commencer en février 1967, à l'aide du vaisseau spatial Apollo 2TV-1 (Block II thermal vacuum no. 1). Cet essai serait suivi en mars d'un test similaire avec le Lunar Module Test Article (LTA) no. 8, qui était un prototype de LM. Comme le bureau des astronautes devait fournir les équipages pour ces tests, Slayton voulait évaluer l'équipement de l'équipage, le rangement et les procédures d'exploitation des systèmes prévus pour les vols du Block II. Il voulait également effectuer une démonstration d'activités extravéhiculaires (EVA), ce qui ajoutait à la complexité de l'opération.

Cependant, à la suite de l'incendie d'Apollo 1 le 27 janvier 1967, tous les essais en chambre à vide impliquant une atmosphère d'oxygène à 100 % dans le vaisseau spatial ont été mis en attente. Après de nombreux tests d'inflammabilité, la NASA a décidé d'utiliser une atmosphère composée de 60 % d'oxygène et de 40 % d'azote dans le vaisseau spatial Apollo lorsqu'il se trouvait sur la rampe de lancement. Après le lancement, le mélange 60%-40% serait progressivement remplacé par une atmosphère composée à 100% d'oxygène. Dans l'espace, les risques d'un environnement d'oxygène pur étaient réduits en raison de la pression interne beaucoup plus faible du vaisseau spatial. À l'intérieur de leur combinaison spatiale, l'équipage continuera à respirer de l'oxygène pur.

Un autre changement important apporté au vaisseau spatial Apollo était l'installation d'une nouvelle écoutille à ouverture rapide. Grâce à ces modifications et à d'autres améliorations apportées à la suite de l'incendie, il a été décidé que tous les vols habités seraient effectués dans des véhicules de type Block II. Les nombreuses modifications ont également entraîné un certain nombre de changements dans le SESL, et en juin 1967, un comité a été créé pour examiner ces changements. Joe Kerwin a été nommé membre de ce groupe.

Lorsque les programmes de vol ont été révisés après Apollo 1, il était prévu que la première mission Apollo habitée, le vol d'un CSM seul désormais nommé Apollo-7, serait lancée au cours du troisième trimestre de 1968. L'équipage serait composé des astronautes Schirra, Eisele et Cunningham. À l'exception de certains équipements qualifiés pour le vol, 2TV-1 serait identique au CSM-101, qui volerait sur Apollo 7. Une règle ferme a été établie selon laquelle le test sous vide thermique 2TV-1 serait un facteur contraignant pour cette mission : il devrait être terminé au moins un mois avant Apollo 7 et devrait réussir ou il n'y aurait pas de lancement. Les tests de 2TV-1 se dérouleraient comme prévu avant l'incendie, sauf que les activités extravéhiculaires ont été supprimées.

La livraison du vaisseau spatial 2TV-1 au MSC était prévue pour le 14 octobre 1967. Cependant, en août, cette date avait glissé de six semaines et elle continuerait de glisser. Chez NAA, l'excuse était que la NASA n'arrêtait pas de demander des changements de matériel. La NASA, cependant, a déclaré que seuls les changements essentiels avaient été approuvés par le MSC et que la plupart des retards étaient imputables à la NAA. Étant donné que les horaires de l'année écoulée avaient été basés sur un fonctionnement en trois équipes, sept jours par semaine, il n'y avait que peu ou pas de temps disponible pour faire face aux revers qui survenaient inévitablement lors des activités de vérification.

Une source de préoccupation, par exemple, était l'inflammabilité des quelque 23 mètres de câble coaxial installé dans le CM. Le câblage du vaisseau spatial 101 était terminé depuis plusieurs mois. Tous les sous-systèmes et capots de protection avaient été installés. Le remplacement complet ou l'emballage protecteur de tous les câbles coaxiaux pouvait prendre jusqu'à trois mois. Après plusieurs examens, il a été décidé que le risque était faible et que seuls des changements mineurs seraient apportés aux câbles du CM-101. L'installation dans le vaisseau spatial 2TV-1 ne serait pas du tout modifiée. La vitesse de combustion du câble coaxial avait été démontrée comme très lente, et il avait été estimé que l'équipage du 2TV-1 aurait suffisamment de temps pour sortir en urgence de la chambre à vide bien avant que des situations dangereuses ne surviennent.


MISSION 2TV-1 pré-test

Véhicule : CSM-098 (2TV-1).
Début du test : 08 juin 1968.
Fin du test : 11 juin 1968.

Equipage : test inhabité.

Le CSM-098 fut livré au MSC par North American le 9 avril 1968, et le personnel technique finit d'assembler les deux modules le 23 avril dans la chambre A du SESL. Le test initial du véhicule 2TV-1 simula la configuration SC-101 pour Apollo VII. Un essai inhabité, destiné à vérifier l'intégrité de la pression du véhicule d'essai, la compatibilité de l'oxygène de l'engin spatial propulsé, et une vidange d'urgence de l'oxygène cryogénique à bord, fut mené du 8 au 11 juin 1968. Globalement, ce test fut satisfaisant, ouvrant la voie à la réintroduction des tests avec sujets humains.


Installation du SM dans la chambre A pour le test 2 TV-1.



MISSION 2TV-1 test habité N°1

Véhicule : CSM-098 (2TV-1).
Début du test : 16 juin 1968.
Fin du test : 24 juin 1968.
Durée totale : 177 heures.

Equipage :
- Joseph Kerwin, CDR (sélectionné en juin 1965.
- Vance Brand, CMP (sélectionné en avril 1966).
- Joseph Engle, LMP (sélectionné en avril 1966, pilota le X-15).


Mise en place du CSM-098 (2TV-1) à l'intérieur de la chambre à vide A du SESL.


Les 3 astronautes sur la plateforme d'embarquement.
De gauche à droite : Engle, Brand et Kerwin


L'équipage pour la mission 2TV-1 fut nommé quelques mois plus tôt, début 1968. Joe Kerwin fut désigné commandant, il était déjà impliqué dans les opérations de "chambre à vide" depuis 1966 et avait également été un membre d'équipage pour le second test CSM-008.
A l'époque, la nomination de Joe Kerwin comme commandant de bord fut considérée comme une étrange décision (bien que logiquement, elle était parfaitement sensée), car il n'était pas un astronaute pilote, mais un astronaute scientifique.
Parce qu'ils étaient des scientifiques d'abord, de nombreux camarades astronautes estimaient que leurs collègues scientifiques ne disposaient pas de «l'étoffe des héros».
Indépendamment de cet avis le directeur du personnel navigant, Deke Slayton, voulut un médecin sur tous les équipages des tests futurs afin d'acquérir des connaissances des conditions médicales et d'aider à établir des critères médicaux au cours des missions spatiales à venir. Kerwin était le seul docteur en médecine au moment d'obtenir son statut de vol.
Vance Brand fut nommé pilote du module de commande (CMP), tandis que Joe Engle fut assigné au poste de pilote du module lunaire (LMP). Tous deux avaient rejoint le corps des astronautes en avril 1966.
Néanmoins, ce fut Kerwin qui était le plus mal à l'aise du groupe du fait de sa nomination devant des pilotes.

Ce fut l'équipage qui conçu l'écusson de la mission, qui était porté sur leur combinaison spatiale durant l'essai. Elle ressemblait à l'insigne NASA "meatball", adoptée par l'agence en 1958, et caractérisé par une Roadrunner ainsi que la locution latine «Arrogans Avis Cauda Gravis».
Le Roadrunner est un oiseau du Texas, vous le connaissez sans doute mieux comme étant le personnage du dessin animé sans cesse poursuivi à travers le dessert par Wile E. Coyote (Bip Bip et le Coyote). C'était symbolique pour la période 1967-68 au cours de laquelle le rythme de travail de la NASA fut très rapide. Plus important encore: il ne volerait pas, ce qui en fait un symbole parfait pour 2TV-1.


Comparaison du l'écusson entre le véritable volatile et son homologue cartoon

L'expression latine était, quant à elle, une référence au slogan "L'oiseau fier avec la queue d'or", de la compagnie aérienne "Continental Airlines" pour décrire leur flotte d'avions de ligne à l'époque. "Arrogans Avis Cauda Gravis" signifie :
"L'oiseau fier avec la queue lourde", soulignant de nouveau que 2TV-1 n'allait nulle part.

La mission

Pendant leur séjour d'une semaine dans la chambre à vide A, Kerwin, Brand et Engle travaillèrent à qualifier le vaisseau spatial pour le vol orbital habité en évaluant l'intégrité structurelle de la coque extérieure et de la cuve de pression interne.
Parmi les autres objectifs de test, il y avait :
- vérifier la structure du bouclier thermique du CM dans des conditions de froid extrême ; vérifier le système de contrôle environnemental (ECS) et les extrêmes de température sous vide; démontrer la capacité des radiateurs de l'engin spatial à évacuer la chaleur générée par les piles à combustible ; vérifier l'exploitation des systèmes et sous-systèmes intégrés du vaisseau spatial dans des modes tant pressurisés que non pressurisés. Pendant les 45 premières heures le vaisseau spatial fut soumis à la température de 55° Celsius. A la suite, elle fut abaissée à -100° Celsius pendant 15 heures. Le reste du test fut conduit à température ambiante.

Après une répétition début juin 1968, l'équipage était fin prêt pour la véritable mission.
Le dimanche 16 Juin, ils revêtirent leurs combinaisons spatiales, qui furent également largement modifiées après Apollo I, et entrèrent dans la chambre A. L'équipe de fermeture les aide à monter à bord du vaisseau spatial, celui-ci reposant à la verticale sur une plate-forme tournante.
Après que l'écoutille fut verouillée, l'équipe de fermeture quitta la chambre et celle-ci fut scellée. La cabine fut pressurisée avec un mélange comprenant 60% d'azote et 40% d'oxygène à 16 psi, avec l'équipage respirant de l'oxygène pur à l'intérieur de leurs combinaisons. Quand tout l'air de la chambre fut pompé, la pression était similaire alors à celle rencontrée à 140 km d'altitude et le test pu enfin commencer. La seule différence avec un véritable vol spatial était que les astronautes devaient se mouvoir et travailler dans des conditions de 1G, parce que l'apesanteur ne pouvait pas être simulée sur la Terre.


Brand, Engle, Kerwin, fin prêts pour le test 2TV-1

Les astronautes en position dans le CM

Plusieurs heures après leur entrée sur 2TV-1, lorsque l'atmosphère de bord fut remplacée par de l'oxygène pur à 5 psi, ils enlevèrent leurs combinaisons spatiales et revêtirent une combinaison légère. Ils furent en constante communication avec les techniciens dans la salle de contrôle, qui pouvaient surveiller les activités de l'équipage grâce à une caméra de télévision se trouvant à l'intérieur de la cabine. Le vaisseau fut mis en rotation lente sur son axe longitudinal pour simuler le mode "barbecue" (PTC, Passive Thermal Control) ayant pour effet de répartir uniformément la chaleur du soleil sur la coque extérieure.
Même s'il ne fut pas aussi occupé que lors d'une véritable mission, l'équipage eu un emploi du temps complet avec des tâches à accomplir. Au cours de leurs temps libres, les astronautes lurent des livres et jouèrent aux cartes. Kerwin a même tenu un journal de bord.

Le 19 juin, un problème inattendu causa l'augmentation de la pression de la chambre pour atteindre une valeur identique à celle se trouvant à 45 km d'altitude, menaçant d'interrompre l'essai. Un arrêt fut décidé, pendant lequel les astronautes restèrent à l'intérieur du vaisseau spatial. Le problème fut finalement résolu et l'essai se poursuivit. Enfin le 24 juin, après avoir passé 177 heures à l'intérieur, les astronautes, barbus, émergèrent de la chambre de bonne humeur et en bonne condition physique.


Sortie de l'équipage sourire aux lèvres, le 24 juin 1968.

Joe Kerwin se souvient affectueusement que, après l'essai, l'équipage se promenait dans le bureau de George Low, gestionnaire du programme Apollo, "avec notre barbe d'une semaine et habillés en hippies" pour lui assurer que le vaisseau était fin prêt pour Schirra et son équipage.

Kerwin, Brand et Engle informèrent les membres d'équipage du vol Apollo VII de leurs constatations et écrivirent un rapport de 14 pages, datée du 2 Juillet 1968, dont des copies furent envoyées à tous les astronautes. Leur principale source de désagrément fut les toilettes chimiques "1G". Au lieu de l'article de vol (le WMS, Waste Management System), qui aurait dû évacuer les déchets liquides à l'extérieur du vaisseau, ce dernier était équipé de WC chimique, mais malheureusement une fuite se déclara sur le système et il y avait de l'urine éventée partout sur le plancher.
Vance Brand se souvient: "Nous n'avons pas pu ouvrir la trappe parce que nous étions dans une chambre à vide, donc nous avons dû nettoyer du mieux que nous pouvions. L'odeur était terrible, mais nous nous y sommes finalement habitués".
D'autres problèmes sans grande importance se manifestèrent, en autre, les lignes d'alimentation en eau du CM qui "suèrent", contribuant à former des flaques sur le plancher de la cabine, malgré le bon fonctionnement de l'ECS. Différents problèmes d'équipement mineurs furent notés, telles que le mauvais fonctionnement de certains casques écouteurs. Les astronautes affirmèrent qu'ils dormaient bien et que la nourriture était bonne, malgré quelques inconvénients avec la fermeture de certains contenants. Ils conseillèrent de ne pas boire l'eau pendant au moins deux heures après la chloration.



Texte original Ed Hengeveld (merci pour son aimable autorisation), traduction Paul Cultrera, tous droits réservés.